L'ENVIE D'UN AILLEURS (Livre JC Lalanne 2015)
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L'ENVIE D'UN AILLEURS (Livre JC Lalanne 2015)

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L'Envie d'un ailleurs

Livre - Jean-Claude Lalanne

2015 - 155 pages

Editions Prince Ringard

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2015 L'Envie d'un ailleurs 195 pages.

Ce roman mélange la réalité et la fiction, vous pouvez le lire avec vos yeux ou le déchirer avec vos mains. Le lecteur comprendra qu'après la dernière page, l'histoire continue, pour le meilleur et pour le pire dans ce monde improbable où le manque d'humanité domine. On ne cultive pas l'art d'aimer et c'est dommage.

Extrait de "L'Envie d'un ailleurs" 2015.

D'où me vient cette frénésie de chanter tout le temps ? Je ne sais pas, c'est comme ça depuis toujours, c'est le seul truc que j'ai trouvé pour survivre sans bosser. Au début je chantais dans la rue, je devais avoir 16 piges et l'air d'un chat écorché en quête de nourriture, j'avais une drôle de lueur dans le regard. Un mec très élégant en costume et cravate me sourit et dépose un billet de cinquante francs dans ma casquette, ce n'est pas la première fois que je le vois mais d'habitude il met une ou deux pièces de monnaie. Cinquante francs c'est énorme, nous sommes en décembre 1963. L'affaire ne s'arrête pas là, il me demande si je peux venir chanter chez lui et faire exactement la même chose mais cette fois avec un micro. Je lâche : « Pas de problème monsieur, mais c'est où chez vous ?

- À côté, au cabaret, à une centaine de mètres, vous n'avez plus qu'à me suivre ».

Il me vouvoie, c'est marrant mais je trouve ça bizarre et complètement irrationnel. J’emboîte le pas du monsieur, je n'ai rien d'autre à faire, je suis quand même un peu inquiet. Devant la porte de l'établissement je me dégonfle et je lui dis que je ne me sens pas à la hauteur. En guise de réponse il m'entraine à l'intérieur en me prenant par les épaules, il me sert un coca au bar et il ordonne à un gros bonhomme de s'occuper de moi. Le gros m'emmène sur la scène, il me demande si j'ai une guitare, je lui réponds que non. Il me met un micro dans la pogne et il me dit de ne pas chanter trop près de l'engin. Il place deux retours de scène, un de chaque côté, il appelle ça des « bains de pieds ». Il me lâche « Quand tu veux ». J'attaque sur une chanson de Gilbert Bécaud : « Qu'elle est lourde à porter l'absence de l'ami... ». Ca me fait drôle de m'entendre et j'utilise instantanément cette sensation nouvelle, à l'extrême limite, j'ai l'impression que quelqu'un chante à ma place, tellement la voix prend de l'amplitude, c'est très agréable et très valorisant. Monsieur Paul, le mec de tout à l'heure, s'installe à une table avec un autre mec et une femme blonde, la fille du bar à l'air très attentive, six autres personnes s'introduisent dans la salle. À la fin du morceau le gros gueule de la régie : « Continue ! ». J'enchaîne sur une chanson de Jacques Brel et enfin je chante deux de mes compositions. La brune du bar interpelle sa copine des vestiaires : « C'est Paul, il l'a trouvé dans la rue ! ». Monsieur Paul me rejoint sur la scène et me demande combien j'ai de morceaux. J’en ai 22 : une quinzaine de compositions et 7 reprises mais il y en a 2 qui ne sont pas prêtes… Il sourit et il me dit : « Une quinzaine ça suffira et deux ou trois autres en rappel, si les gens en veulent encore. Je suppose que tu ne chantes pas l'Ave Maria dit-il en rigolant. Comme un con je ne saisis pas son humour et j'enchaîne : « Si, je peux chanter l'Ave Maria… À l'orphelinat de St Vincent de Paul je chantais dans la chorale, j'étais soliste. » Monsieur Paul me demande alors d'interpréter ce morceaux, j’obéis. La douzaine de personnes présente dans la salle me regarde fixement et à la fin ils applaudissent debout. Ca me touche, je peux même dire que ça me touche énormément même si je trouve cela complètement irréaliste, je suis pourtant à des lieux de comprendre ce qui se passe. Monsieur Paul m'entraîne au bar : « Tu commences demain soir, 100 francs par prestation, c'est bien payé, je ne donne pas plus c'est pareil pour tout le monde. Tu passeras vers minuit et surtout ne change rien, refais exactement la même chose et laisse un peu plus de temps entre les chansons. Le lundi le cabaret est fermé, donc on est parti pour un mois, six jours par semaine. Comment tu veux t'appeler ? Il te faut un nom de scène, tu comprends ? » Je réponds bêtement : « Je m'appelle Jean-Claude, ça ira ?

- Bon c'est d'accord, par contre, tu vas venir avec moi, il te faut des fringues. »

 Et monsieur Paul m'entraîne dehors. J'en profite pour lui dire qu’en général c'est mon pote Papillon qui m'accompagne à la guitare, je précise qu'il a son ampli, un Vox et que sa gratte c'est une Ibanez. « Pas de problème, je vous ai déjà vu tous les deux dans la rue à plusieurs reprises, c'est d'accord mais je ne peux donner que 100 francs pour vous deux, pas plus. » Et il répète : « c'est pareil pour tout le monde ». Quand je sors du magasin de vêtements, je ne suis plus le même. J'ai l'air d'un séminariste en rupture de ban : pantalon noir, chemise noire, chaussures noires, le tout bien caché par un manteau noir lui aussi, le manteau (un genre de loden) c'est un cadeau du magasin, il n'est pas neuf mais je m'en branle, j'ai chaud, je suis bien. Sans arrêt je regarde ma gueule dans les vitrines et j'ai l'impression d'être un autre, je ne me trouve pas beau mais plutôt inquiétant. De retour au cabaret j'apprends que je remplace une chanteuse qui est malade, sur les affiches il y a une petite inscription : « Mademoiselle G, souffrante est remplacée par Jean-Claude : un espoir de la chanson française », c'est tout. C'est loin tout ça, c'est comme un bateau qui s'éloigne et qui finit par disparaître à l'horizon, c'est une envie de voyage, le besoin d'un ailleurs.